Sebastien Borget, Co-founder The Sandbox : “Si tu as une idée et que personne d’autre ne l’a eue, c’est que quelque chose cloche”

Avec FrenchFounders, vous avez l’habitude de voyager jusqu’au bout du monde à la lecture de nos portraits de membres. Mais aujourd’hui, plus fort encore que de vous transporter en Iran ou en Corée du Sud, nous vous avons réservé un entretien des plus dépaysants pour vous transporter au plus profond de votre ordinateur.
Où cela ? Oui, vous avez bien lu. Aujourd’hui, nous voyageons avec Sébastien Borget, dans le métaverse français The Sandbox que vous connaitrez bientôt si son nom ne vous était pas familier.
Vous êtes COO et Co-founder de The Sandbox. Quel est votre parcours ?
J’ai fait une école d’ingénieur, Telecom Sud Paris avant d’être diplômé en 2007. Dans ce cadre, j’ai eu l’opportunité de faire un échange international en dernière année à Hong-Kong, pendant 6 mois. À cette occasion, j’ai été contacté par mon associé actuel, Arthur Madrid, parce que l’un de mes hobbys était de développer en open source des solutions autour de la technologie peer-to-peer bittorrent.
Lui, sa première startup était de fournir des solutions aux sites de vidéos à la demande pour économiser leurs coûts de bande passante via un plugin lorsqu’ils distribuaient des vidéos en locations, des événements sportifs comme Roland Garros. Il m’a contacté, car j’étais l’un des rares Français qui évoluait dans cet écosystème.
J’ai alors commencé à travailler avec lui à distance, et quand je suis rentré en France j’ai fait mon stage de fin d’études avec lui. Cela fait maintenant 16 ans que nous collaborons ensemble.
Cette première startup, nous l’avons revendu un an après. L’année suivante, nous avons co-fondé une plateforme où les utilisateurs pouvaient uploader leurs photos et musiques dans le cloud et y accéder depuis n’importe où, en streaming, mais aussi créer des playlists avec leurs amis. Ce service a eu beaucoup de succès, avec des dizaines de milliers d’utilisateurs qui payaient un abonnement mensuel. On a revendu cette boîte deux ans plus tard.
Puis, en 2011, nous avons co-fondé un studio de jeux vidéos mobiles avec des jeux utilisant des licences et qui permettaient aux joueurs de créer leurs propres histoires. Nous avons travaillé avec Garfield, Snoopy, la Famille Addams, et Goosebumps d’un côté, à créer des city builders*. De l’autre, notre plus gros succès était The Sandbox que nous avions lancé en 2011. C’était un jeu en 2D où les joueurs pouvaient toucher du doigt et créer leurs mondes virtuels, jouer avec des éléments et les partager.
En 1 mois nous avons eu 1 million de téléchargements, en 8 ans on en a eu 40 millions. On a fait 65 mises à jour. Ce qui a amené en 2018 notre acquisition par le groupe Animoca Brands, le plus grand groupe basé à Hong-Kong, qui fait des jeux et évolue dans la blockchain.
Depuis, nous avons splité Sandbox en dehors de ce studio de jeux vidéos mobiles, pour lui créer sa propre entité, sur laquelle nous avons levé des fonds en seeds en juillet 2019 : 4,5 millions de dollars avec notamment Square Enix comme investisseurs. Nous avons continué à développer la plateforme, à grossir les équipes. En novembre 2021 on a levé 93 millions de dollars avec Softbank, et depuis c’est presque 5 millions d’utilisateurs avec un wallet et 400 partenaires qui sont des marques, qui interagissent avec The Sandbox, localisé non seulement en ligne, mais surtout dans 10 bureaux dans le monde, grâce à plus de 400 talents.
Si vous deviez expliquer simplement le concept de The Sandbox, que diriez-vous ?
Il faut imaginer un monde virtuel décentralisé dans lequel on accède à différentes expériences par le biais d’un avatar - comme dans Fortnite ou Roblox - que l’on garde, quel que soit le monde exploré, ainsi que l’intégralité de tout ce que le joueur crée ou gagne via des missions à récompenses. Elles sont échangeables à d’autres joueurs ou cessibles sur des places de marché, même en dehors du jeu, sur OpenSea.
Un créateur doit-il passer par l’achat d’un land pour avoir toutes les fonctionnalités du métaverse ?
En tant que créateur, non. Il suffit de télécharger le Game Maker. C’est le point d’entrée pour faire de l’expérience sans avoir de connaissance en programmation. Nous avons en permanence des compétitions, appelées “Game Jam” dans lesquelles les utilisateurs vont pouvoir créer des contenus selon des thématiques, et les gagnants sélectionnés vont recevoir des prix, dont des lands gratuitement.
Et les marques, elles, sont attirées par cet engouement créatif. C’est l’exemple de Snoop Dogg et son manoir, présent dans The Sandbox.
C’est un monde très funky. Les contenus sont mixés, comme un DisneyLand virtuel. La première impression de The Sandbox, c’est la diversité qui va s’enrichir avec le temps.
Le métaverse va un peu changer cette année, vers la fin du troisième trimestre. On va ouvrir la possibilité pour les LAND owners de publier sur leur plateforme. On va passer de “c’est très marque” à “c’est plus User Generated Content” avec plus de richesse encore.
Quel contexte entoure la création de ce monde virtuel ?
En 2011, nous avons d’abord lancé The Sandbox comme un jeu mobile où quiconque puisse devenir un créateur d’un simple toucher du doigt sur écran tactile et avons rencontré un franc succès avec 40 millions de téléchargements et 70 millions de créations partagées, mais aussi la frustration que les créateurs ne puissent recevoir une portion de la valeur qu’ils contribuent à créer à cause des limitations du Web2.0.
Nous avons fait évoluer The Sandbox en 2018 en un monde virtuel ouvert avec un éditeur 3D, un Game Maker sans programmation requise, une map, une marketplace - c’est une plateforme de métavers décentralisée où chacun peut créer, posséder et surtout monétiser ses contenus comme bon lui semble, grâce à la technologie blockchain et aux NFTs.
Les frais de service de Google, imposés aux développeurs sur le PlayStore, expliquent-ils en partie votre choix de créer une entité propre à The Sandbox ?
Oui. Grosso modo dans l’économie du jeu vidéo, il y a les jeux vidéo free-to-play avec les achats intégrés, et les stores prennent 30% de commission. Mais après, toute la partie user acquisition sur laquelle nous sommes dépendants, et pour cela il faut encore dépenser sur la plateforme. Donc en fait il reste peu de revenus pour les développeurs de jeux. Et en plus, il n’existe aucun moyen de redistribuer la valeur aux joueurs qui contribuent très largement aux succès de ces jeux. Pourquoi ? Parce que l’UGC, je crois sincèrement que c’est l’avenir du jeu vidéo.
Quand les joueurs peuvent créer des niveaux, des personnages, dans leurs jeux favoris, cela va créer de l’engagement. Il n’y a rien de plus puissant que de jouer à ses propres contenus. Il y a un attachement personnel, émotionnel. Il y a cet aspect renouvellement infini du contenu. On veut développer ses fans, sa communauté. Et ces plateformes ne permettent pas de rémunérer cette valeur, pour ces créateurs qui sont à l’origine de ces succès.
Nous avions cette frustration de ne pas pouvoir partager avec nos créateurs une partie du revenu, et aussi de les voir partir, car sur d’autres plateformes ils pouvaient avoir accès à cela.
Meta a récemment délaissé le métavers pour se concentrer sur l’IA. Pourtant, l’un n’est pas contradictoire avec l’autre. Quel impact à l’intelligence artificielle sur vos activités?
La stratégie de Méta était peut-être trop short sighted et surtout short focus sur combiner le métaverse à un seul hardware physique qui est le casque de réalité Oculus. Alors qu’on le sait, la métaverse c’est bien plus. C’est multi-plateforme, c’est device agnostic*, avec cette notion d’un avatar qui va d’un monde à un autre, alors que Meta proposait une vision très écosystème et environnement clos : “je dois acheter le casque, je suis que dans mon univers et je n’interfère pas avec d’autres”. On se rend aussi compte que les promesses étaient trop éloignées de la réalité du produit. Je ne suis pour autant pas certain qu’ils aient abandonné le projet. Il est peut-être seulement en pause. Néanmoins, cela a permis de générer plus d’awareness autour du métaverse et de la croissance de l’écosystème en général.
En termes d’IA, c’est un outil qui, mis dans les mains de créateurs, permet d’accélérer la créativité. Le temps qu’il fallait hier pour matérialiser un concept est aujourd’hui divisé. C’est aussi un marqueur de la démocratisation de la créativité : aujourd’hui, plus besoin de savoir programmer ou d’utiliser des logiciels 3D pour concevoir son idée créative.
En plus de la créativité, nous pensons que l’IA peut permettre d’accroître le réalisme du métaverse. Les NPC*, les personnages seront mieux animés. Nous avons pour cela investi dans une entreprise française qui s’appelle Kinetix, pour animer le mouvement de nos avatars et les rendre plus vivants. La voix aussi, capturer la voix pour avoir des dialogues plus intéressants. L’idée est de rendre l’expérience du métaverse plus immersive.
L’IA rend aussi le métaverse plus sûr. Notamment en réduisant la toxicité dans les échanges, éviter les dialogues inappropriés. Cela le rend plus agréable pour toutes les audiences.
Enfin, l’immersion par la musique. Avoir des ambiances sonores différentes selon les contextes.
On en est assez tôt dans la phase d’expérimentation, mais on peut voir aujourd’hui avec certaines entreprises comme Scenario avec qui l’on travaille que c’est concluant. L’IA aujourd’hui a beaucoup progressé en 2 ans. Le texte, elle maitrise, la 2D elle maîtrise, la 3D elle ne maitrise pas encore, mais qui sait dans 3 ans ?
Ce sont des outils qui vont donner naissance à de nouveaux formats, de contenus.
À mon sens, il faut que les gens expérimentent, que cela se professionnalise, et voir ce que ces nouveaux contenus réalisés avec l’IA vont donner.
Que cherchez-vous à laisser au monde de demain ?
Je souhaite que le monde de demain reconnaisse la propriété des biens numériques comme un droit fondamental, et que The Sandbox puisse contribuer à rendre les mondes virtuels plus ouverts, plus créatifs en permettant à quiconque de participer et devenir créateur, plus accessible, plus inclusif et surtout soutenir des projets qui puissent avoir un impact positif environnemental, social ou éducatif.
Le métaverse est à la fois une révolution sociale et technologique qui peut impacter nos modes de communication, de travail, de divertissement, et qui va développer des millions de nouveaux emplois, nous faire entrer dans l’ère de l’économie digitale et donner son plein potentiel à la creators economy; où les biens et les services échangés entre utilisateurs ont une valeur et où les utilisateurs deviennent des citoyens acteurs du futur du développement d’une nouvelle nation numérique. Ces nouvelles possibilités et opportunités s’entrecroisent dans le concept du métavers, monde virtuel immersif que l’on peut visiter par le biais d’un avatar, et permettant une nouvelle façon de socialiser, interagir, et travailler.
Pour mettre en œuvre cette vision, quels sont vos prochains défis ?
Permettre aux LAND owners - il y en a + 23500 - de publier directement sur leur land toute expérience. À partir de la fin du troisième trimestre, ils pourront ouvrir leur propre communauté, attirer de nouveaux utilisateurs, et créer une plus grande richesse de contenus qui enrichira The Sandbox à terme : c’est la force de l’UGC.
Quels conseils donneriez-vous à un profil similaire au vôtre ?
1) Tester, itérer
Quand j’interviens dans les conférences, je dis souvent que rien ne remplace l’expérience;
Pour de jeunes talents, je dirai que vous allez tous sortir avec le même cursus, formaté avec le même savoir. Ce qui va vous différencier c’est ce que vous allez faire en dehors. Vos projets, vos passions. Pour cela, rien de mieux que de faut tester, d’itérer, de faire partie d’un écosystème.
2) Ne pas se perdre
Il ne faut pas travailler 3 ans sur un projet sans se confronter aux utilisateurs. Il faut définir la première metric à valider. Vérifier l’intérêt de l’audience.
3) Savoir pivoter
Les équipes qui se remettent en question, qui acceptent les inputs externes, et qui ont pivoté deux à trois fois, sont souvent celles qui vont vers la réussite.
4) Savoir s’entourer
Si tu as une idée et que personne d’autre ne l’a eue, c’est que quelque chose cloche. C’est mieux d’être en compétition, ça veut dire qu’il y a un marché. C’est l’exécution qui prime, pas l’idée.
Et pour s’entourer, Sébastien Borget a naturellement choisi notre réseau dont il est membre depuis 2022… !
Glossaire
city builders* : type de jeu vidéo de construction et de gestion d’une ville ;
NPC* : non playable character, personnage non joueur ;
device-agnostic* : qui fonctionne quel que soit le dispositif utilisé.
Pour mettre en pratique les conseils de Sebastien Borget :
A REVOIR : Efficacité, mode d’emploi I Paroles d’expert
“Il existe une grande confusion entre agitation et efficacité. Croire que l’urgence ou la vitesse d’exécution sont les bons critères signifie l’acceptation du modèle du hamster dans sa roue. Une autre approche du temps est possible.”